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► Vérités historiques : Les mariages de Blanche de Castille...


Le mariage de Blanche de Castille et du futur roi Louis VIII
au Château-Neuf de Port-Mort en mai 1200

Un des épisodes historiques les plus marquants du conflit entre les Plantagenets, ducs de Normandie et Rois d'Angleterre, avec les Capétiens à la fin du Xllle siècle eut lieu au château et à l'église St Martin du quartier du Château-Neuf à Port-Mort.
Philippe-Auguste avait entrepris la conquête progressive de la Normandie profitant de l'absence de Richard C?ur de Lion demeuré à la IIIe Croisade, puis de la faiblesse de son successeur, Jean sans Terre. Les deux rois anglais avaient fortifié la vallée de l'Epte, et la vallée de la Seine à Château-Gaillard, et à Boutavent (en face Tosny). Après une première phase de combat Philippe Auguste obtient la promesse de la cession d'une partie du Vexin avec Gisors qui constituera la dot qu'apportera la nièce de Jean sans Terre lors de son mariage avec le fils de Philippe, le Dauphin Louis. Cette nièce, c'est Blanche infante de Castille et future mère de Saint-Louis.

C'est ainsi qu'en avril 1200 Blanche fut accompagnée par une nombreuse députation d'Espagne à Bordeaux puis arriva en Normandie près de son oncle Jean sans Terre pour son mariage avec Louis. Jean sans Terre et Philippe-Auguste attendaient la jeune princesse à la limite de leurs possessions dans notre région, en se surveillant mutuellement.
Sitôt qu'elle fut arrivée au Château de Boutavent, fort de protection avancée du Château Gaillard situé dans une lie de la Seine, dite île de la Tour, entre Bouafles et Tosny à 5 km en amont des Andelys, où Jean-sans-Terre tenait sa Cour au milieu de ses capitaines anglais, ceux-ci félicitèrent le Roi de posséder une nièce d'aussi exceptionnelle vertu, et proclamèrent que le Dauphin de France avait grande chance de recevoir une aussi parfaite épouse.
Philippe-Auguste occupait à cette époque le château du Goulet, situé sur la côte dite de Catillon, au Pied Anglais, où flottait la bannière française fleurdelisée. Il avait construit, quelque temps auparavant, dans l'île aux B?ufs, un fort dont on peut voir encore la trace du soubassement.
Dès que la petite fiancée, qui était la gage du traité de paix fût arrivée, Philippe, Jean et leurs plénipotentiaires, se hâtèrent de signer le traité, le 22 mai 1200, dans un champ à proximité du Goulet, où l'on avait dressé une tente décorée de soie orientale et de tapisseries flamandes. C'est là, qu'après d'interminables querelles, les deux rois se rencontrèrent, non plus en ennemis, mais ayant abandonné l'armure, en robe brillante et manteau de fourrure.

Par le traité du Goulet Jean-sans-Terre, cédait à la couronne de France: le Vexin, sauf la châtellenie des Andelys, le Comté d'Evreux jusqu'au Neubourg et Danville. Les signatures apposées, les sceaux collés sur les larges rubans, il ne restait plus qu'à célébrer le mariage. Ce ne fût pas simple.
Le mariage ne pouvait avoir lieu religieusement en France. Le Pape, Innocent III, homme impitoyable et coléreux, avait lancé l'interdit sur tout le royaume, parce que Philippe-Auguste, veuf de sa première femme, avait répudié sa seconde, Ingelbord, fille du Roi de Danemark, 48 heures après son mariage pour des raisons d'incompatibilités mystérieuses. Il l'avait reléguée dans une prison féodale de Calais, où elle resta dans le dénuement fort longtemps. Il s'était remarié, illégalement d'ailleurs, en troisième noce, quatre ans auparavant, avec Agnès de Méranie. Comme Philippe-Auguste n'avait voulu rendre au Roi de Danemark, ni la fille ni la dot, ceci faillit nous amener un conflit avec ce pays, dont la flotte était, à l'époque, la plus puissante du monde.
Le Roi de Danemark intervint auprès du Pape, dont les menaces restèrent sans effet auprès de Philippe-Auguste. Depuis cet interdit les églises étaient fermées, plus de baptêmes, plus de mariages, ni secours de prêtres pour les défunts.
L'Archevêque de Bordeaux ne pouvait bénir cette union en territoire français. Il ne restait qu'une ressource : célébrer le mariage en Angleterre. Pour cela il n'y avait qu'un pas à faire, traverser la Seine pour se trouver en territoire anglais à Port-Mort.
Quand il fallut régler le protocole de la cérémonie, autre difficulté. Le Dauphin était obligé de venir en territoire britannique, mais la confiance était si précaire à l'époque, que l'on pouvait craindre sa capture et qu'il fût prisonnier des Anglais. -"Qu'à cela ne tienne, dit Jean-sans-Terre, j'irai chez les Français, aussi longtemps que le jeune Louis se trouvera en territoire anglais. Je servirai d'otage, ma vie répondra de la sienne" -' Les solutions ainsi trouvées à ces problèmes, les deux rois ne purent assister à la cérémonie, et lorsque l'Archevêque de Bordeaux, Elie de Mallemort, procéda à l'union des deux enfants, il n'y avait de ce fait aucun proche parent présent à la cérémonie, bien que ce mariage fût conclu uniquement dans leur intérêt.

La cérémonie eut lieu en l'Eglise de Châteauneuf de Port-Mort, placée sous le vocable de Saint-Martin. Construite en contrebas des pitons rocheux - son mur de gauche était constitué par la roche taillée verticalement - de forme rectangulaire, ses dimensions étaient approximativement de 15 mètres pour la longueur, et 8 mètres pour la largeur. Le ch?ur dans le prolongement côté est devait avoir environ 5 mètres sur 5.
Construite avant l'année 1100, elle fût donnée, vers 1180, par les paroissiens et les deux abbés qui en avaient la charge, aux religieux de Mortemer, qui donnèrent aussitôt quelque argent pour la réparer.
Au cours de l'année précédant le mariage, Philippe-Auguste avait fait construire sur le piton rocheux, surplombant l'Eglise, un château fort appelé Châteauneuf, en réplique au Château Gaillard, que Richard C?ur de Lion venait de construire.
On peut se demander comment Philippe-Auguste avait pu construire Châteauneuf en territoire anglais, et après avoir pris possession du terrain, pourquoi l'interdit du Pape n'y était point appliqué. Les châteaux forts étaient assez rapidement édifiés à l'époque. En apprenant l'existence de cette construction, Richard qui résidait en Aquitaine, comme il le faisait souvent, fut de fort méchante humeur et remontait en Normandie pour tirer l'épée, lorsqu'il fut tué en Limousin, ce qui mettait un terme à tout combat sur ce sujet.
L'interdit du Pape ne visait administrativement que le Royaume de France, à l'exclusion de la Normandie, dont la limite commençait à l'Epte.
D'autre part, l'Eglise de Port-Mort avait été donnée 20 ans plus tôt aux religieux de Mortemer qui dépendaient de l'Archevêché de Rouen. Le terrain pouvait encore être considéré comme anglais, rien ne pouvait s'opposer à l'office religieux, sauf la présence de Philippe-Auguste excommunie.

Bien que les deux rois ne fussent pas de la fête, des réjouissances magnifiques se déroulèrent après la messe. on banqueta joyeusement, portant force santés au bonheur des jeunes époux, tandis que chanteurs, jongleurs, bateleurs amusaient la foule avec leurs ours danseurs et les singes savants.
Profitant de cette belle journée de printemps, on avait dressé des tables dans la prairie voisine, à l'ombre des pommiers. Les valets couraient de-ci de-là, portant des viandes rôties, des paons dressés sur des plats précieux, tandis que les échansons, brandissant cruches et bouteilles, avaient grand peine, malgré tout leur zèle, à contenter la soif des convives, les gentilshommes s'enivraient pour faire honneur aux mariés. Selon le bon usage de la Maison de France, le petit peuple participait lui aussi à la fête, et il n'était pas le moins empressé à trinquer à la santé des époux.
Ceux-ci siégeaient aux places royales étonnés, étourdis, intimidés. Sans doute auraient-ils préféré participer à la fête populaire ou se rouler dans l'herbe avec les enfants de leur âge, mais ils conservaient le maintien grave et sérieux que réclamait leur situation. A l'exception des paroles rituelles qui les avaient unis, ils n'avaient probablement pas échangé deux mots depuis qu'ils s'étaient rencontrés, on les avait présentés l'un à l'autre, puis chacun avait dû se retirer de son côté; lui pour écouter les compliments des seigneurs, elle pour recevoir les baise-mains des dames.
Ces enfants étaient maintenant unis par le plus grave des liens. Blanche avait supporté le long cérémonial avec plus de patience que son mari, elle était habituée au long rituel espagnol, tandis que Louis, sagement assis sur son fauteuil, attendait le moment de remonter à cheval et aspirait aux joies du tournoi. Il regardait avec curiosité cette Espagnole qui montrait plus de sérieux et de dévotion que la plupart des enfants de son âge. Il la jugea calme et bonne, assez jolie, quoique ne cherchant pas à plaire. Elle ne paraissait pas très amusante pour un jeune garçon qui aurait préféré un compagnon de jeux. Elle lui avait souri gentiment toutefois autant que le permettait l'étiquette.
Blanche dressée à dompter ses émotions ne révélait rien du trouble qui l'agitait, en considérant cet enfant, assez chétif, qui avait reçu de sa mère les yeux bleus, le teint clair, les cheveux blonds qui faisaient la beauté de celle-ci. Une confiance réciproque, une sympathie instinctive les rapprochaient l'un de l'autre, malgré leur timidité.
Quand vint le moment d'ouvrir le bal, ils se donnèrent la main fort aimablement, et dansèrent avec une grâce qui enchanta les assistants. Louis apportait, à ce divertissement plus de vivacité et de fantaisie que son épouse, habituée à la gravité solennelle un peu triste d'usage en Castille. Elle participait à ce plaisir avec une modestie pleine de décence et de retenue, soucieuse d'observer, dans toutes ses attitudes, un maintien chaste, pudique et réserve. Il n'est pas nécessaire de préciser que malgré leur union, chacun passa la nuit dans sa chambre en compagnie de son directeur de conscience.

Lorsque les fêtes furent terminées en territoire anglais, elles recommencèrent en France de l'autre côté de la Seine où, pendant ce temps, nos deux Rois ne s'étaient pas ennuyés au château du Goulet.
Blanche fit alors la connaissance de son beau-père Philippe-Auguste, qui lui plût par son allure chevaleresque et martiale. Elle se montra, néanmoins, réservée envers lui. Ce qu'on lui avait appris de sa manière de vivre, de ses aventures conjugales, de son impiété, de ses difficultés avec le Pape, l'avait heurtée. Elle blâma sévèrement, dans son for intérieur, la conduite du Roi, et conçut dans son c?ur, dès ce moment, des doutes sur la constance des Français. Elle craignait que son mari imitât un jour son père. Elle était choquée de voir les églises fermées, les prêtres absents. Elle était affligée de voir que le pays, où elle serait reine un jour, pût vivre ainsi en discorde avec le Pape.

On sait que la paix ainsi scellée à Château Neuf en 1200 entre Jean sans Terre et Philippe Auguste ne dura guère, En 1204 Philippe-Auguste se lança à la conquête du reste de la Normandie que la prise de Château-Gaillard après huit mois de siège lui facilita. Port-Mort et ses environs n'étaient plus une marche-frontière disputée. Le Château-neuf qui avait vu les cérémonies de 1200 ne fut plus entretenu et les paysans de Port-Mort aidèrent au travail du temps en utilisant les pierres pour leurs constructions. On ignore si Blanche de Castille revit un jour le lieu de son mariage. Son fils Saint-Louis né en 1214 vint souvent à Vernon mais notre petit village ne connut plus de semblables occasions de célébrité.
Jean Hucher


Vérités historiques : les mariages de Blanche de Castille...

Printemps 1200 : Philippe II - Auguste - est roi de France ; Jean Sans-Terre est roi d'Angleterre mais aussi duc de Normandie et à la tête de nombre d'autres provinces françaises : un vassal bien trop puissant' Nos bords de Seine, alors frontière, se sont hérissés de forteresses. Après des jours de palabres, le 22 mai 1200, les deux souverains finissent par signer un traité que l'Histoire retiendra sous le nom de « Traité du Goulet » : dix neuf articles âprement négociés, l'un d'eux - seulement - parle de mariage...

Un mariage, une bonne alliance entre familles, unissant Capétiens et Plantagenêts, garantirait la paix entre les deux royaumes, voire n'en ferait plus qu'un... : Aliénor d'Aquitaine, mère de Jean, fait ramener de Castille sa petite fille, Blanche.
Seulement voilà : Philippe Auguste et, par conséquent, son royaume sont pour l'heure excommuniés par le pape Innocent III. Impossible de faire célébrer le moindre office religieux au royaume de France... Une solution : faire célébrer ce mariage en terre anglaise. Mais la méfiance règne : ce devra être juste sur la frontière car si la mariée est la nièce de Jean, le marié n'est autre que le fils aîné de Philippe. Aussi, pendant qu'un archevêque unit les deux enfants rive droite, les deux monarques se retrouvent rive gauche : excommunié, Philippe ne peut assister à la cérémonie et Jean s'est constitué otage tant que le jeune prince Louis est en terre anglaise...
Pourtant, les chroniqueurs sont des plus discrets sur ce mariage, l'union de ces deux enfants ne fut vraiment que l'accessoire d'un accord politique. Dommage : un mariage royal à Port-Mort ! En l'absence de témoignages, bien des auteurs auront recours aux « clichés »...

Dans la très volumineuse « Histoire universelle » dont l'impression dura huit ans (1779 - 1787), comprenant plus de 50.000 pages, on trouve à propos du mariage de Blanche de Castille le passage suivant : « la cérémonie du mariage se fit en Normandie. » Tout juste une ligne, pas plus ! Aurons-nous plus de chance avec les historiens du XIXe siècle ?

Henri Martin, de l'Académie Française, nous raconte dans l'un des volumes de sa célèbre « Histoire de France » l'arrivée de Blanche, « enfant d'une douzaine d'années, qui était déjà, suivant les chroniqueurs, la plus belle dame que l'on pût voir ni regarder en son temps »... « en Normandie, où le mariage fut célébré, entre Vernon et les Andelis, le 23 mai 1200 ». Précision quant à l'époux : « Le jeune marié, Louis de France, à peine âgé de quatorze ans, se distingua par son adresse et sa valeur dans les tournois auxquels on convia les plus illustres chevaliers de France et d'Angleterre, à l'occasion des fêtes du mariage : il y fut légèrement blessé ».

Quant à l'un de nos spécialistes locaux d'alors, Brossard de Ruville, il fait entre autre référence, dans sa précieuse « Histoire de la Ville des Andelys », à l'ouvrage de Thomas Duffus Hardy : « Itinerary of king John » paru en 1835. Cet historien anglais puise ses sources dans les documents d'époque qui, sans être prolixes, n'en sont pas moins inintéressants ; on connaît ainsi les déplacements du roi d'Angleterre : « Nous retrouvons Jean Sans-Terre au Château-Gaillard le 11 et le 12 du mois de mai de l'année 1200. Il s'en absenta pendant trois jours. Le 17, il était de retour, et le lendemain, qui était le jour de la fête de l'Ascension, il se rendit à un nouveau rendez-vous que lui avait assigné Philippe-Auguste, au lieu ordinaire de leurs réunions, c'est à dire entre le fort de Bouteavant et le fort du Goulet, sur la limite des deux états. »... « Le même jour et au même lieu fut dressé l'acte de mariage entre Louis, fils de Philippe-Auguste, et Blanche, fille d'Alphonse IX, roi de Castille, et nièce de Jean Sans-Terre. Le roi d'Angleterre s'en retourna coucher au Château-Gaillard. Il y séjourna jusqu'au 25 du dit mois de mai ; après quoi il s'en départit pour se rendre au fort d'Orival. » Aucune mention de la cérémonie de mariage... Il est vrai que Jean n'y assista pas, il était au Goulet, s'étant constitué otage du roi de France tant que le jeune Louis se trouvait en territoire anglais'

Autre grande figure de notre histoire locale au XIXe siècle : Edmond Meyer, qui relate dans son « Histoire de la ville de Vernon » : ...« les deux souverains se retrouvèrent au Goulet, au mois de mai 1200... On arrêta, dans cette conférence, les conditions du mariage de Louis, fils de Philippe-Auguste, avec Blanche, fille d'Alphonse de Castille et nièce de Jean-sans-Terre »... « les fiançailles de Louis et de Blanche de Castille furent célébrées le 23 mai à Portmort, situé sur la terre normande... ». Mariage ou fiançailles ? Au Goulet ou ailleurs ?...

En 1939 paraît un « Blanche de Castille, femme de Louis VIII, mère de St Louis ». Œuvre de Marcel Brion, futur académicien, historien de l'art, critique littéraire, auteur de plusieurs biographies historiques, mais aussi romancier... C'est hélas sans citer la moindre source que l'auteur nous invite à suivre la cérémonie : « ...des réjouissances magnifiques accompagnèrent la messe qui avait été dite dans l'église de Portmort. On banqueta joyeusement, portant force santés au bonheur des enfants, et tandis que les chanteurs chantaient, que les jongleurs faisaient leurs tours, que les bateleurs amusaient la foule avec leurs ours danseurs et leurs singes savants les gentilshommes s'enivrèrent de belle humeur, pour faire honneur aux mariés. Profitant d'une belle journée de printemps, on avait dressé les tables dans la prairie, à l'ombre des pommiers. Il faisait plaisir à voir comment les valets couraient de-ci, de-là portant les viandes rôties et les paons dressés sur des plats précieux, tandis que les échansons, brandissant cruches et bouteilles, avaient grand'peine, malgré tout leur zèle, à contenter la soif des convives. » C'est ainsi sur quatre pages ! On nous décrit les époux, ce qu'ils ressentent durant la messe, au moment d'ouvrir le bal...

Dans son ouvrage « La France de Blanche de Castille » paru en 1977, René Bertrand est tout aussi généreux en détails, en rajoutant même un peu : après le menu, la carte des vins ! « Ce fut, dans l'abondance des viandes, une étonnante beuverie riche en boissons inconnues en honneur en ce temps-là : cervoise, hydromel, hypocras et sans doute quelque vin acide des vignobles du lieu » !

Il y a plus surprenant : le mariage n'aurait pas été célébré à Port-Mort, mais à Pont-Audemer ! Certains auteurs s'y conforment d'autant plus que c'est ce qu'affirme l'incontournable « Larousse du XXe siècle » et encore aujourd'hui certains sites généalogiques... D'autres semblent composer en affirmant : « ...la cérémonie s'accomplit en l'église de Pont More en Angleterre' ». Cela dit, continuons à nous méfier des dictionnaires : le « Robert » accorde plus de place à Blanche-Neige qu'à Blanche de Castille !...
Heureusement, le XXe siècle a aussi son lot d'érudits passionnés d'histoire locale. Parmi eux : Alphonse-Georges Poulain qui en 1957 publie « Les séjours du Roi Saint Louis en Normandie et particulièrement à Vernon-sur-Seine » dont l'un des chapitres est consacré au « Mariage de Louis VIII et de Blanche de Castille » dans lequel il n'hésite pas à préciser ce que pouvait laisser sous-entendre Brossard de Ruville : « L'acte de mariage fut signé le 18 mai 1200, à Port-Mort, dans une petite forteresse nommée Castellum Novum (Château Neuf) »... Or, si ce lieu est le « lieu ordinaire de leurs réunions » (effectivement situé entre les deux forts : celui de Boutavant, sous Tosny, et celui du Goulet), le traité dit « du Goulet » porte mal son nom...
« Le mariage fut célébré le 23 mai à Port-Mort ». « Aussitôt la cérémonie terminée, on fit partir pour Paris ces époux juvéniles, que la politique venait d'unir ». Ce mariage apparaît comme la conclusion des négociations au terme desquelles chacun rentre chez soi et le rideau tombe sur la scène pormortaise.

« Je suis l'historienne de ceux que j'aime ». Elle ne se présentait pas comme une spécialiste, mais Isabelle, Comtesse de Paris, n'avait pu résister au plaisir de livrer une « histoire de famille » en 1991 avec un ouvrage : « Blanche de Castille, mon aïeule ». Son écriture est en effet celle de quelqu'un, certes bien informée et bien entourée, mais narrant une histoire de famille. Ainsi, à propos de Blanche : « ...la duchesse de Guise, ma belle-mère, prétendait qu'elle était rousse... ». L'auteur fait également preuve d'une grande impartialité quant à la cérémonie, tout en conformité avec ce que le bon sens dicte, ce que les circonstances imposent : « Ce jour qui devrait être le plus beau jour de sa vie, se déroule plutôt comme une vraie noce de village. La cérémonie a lieu dans l'église de Port-Mort... Blanche est seule, aucun membre de sa famille n'est présent auprès d'elle... Voilà les deux jeunes gens en présence l'un de l'autre. De cette première impression dépendra toute leur vie... Le consentement des jeunes époux est échangé devant une assistance de paysans, de barons, de chevaliers, de moines et de curieux. On est loin d'une grande fête princière. »
Ce qui ne dut certes pas empêcher quelques réjouissances populaires de part et d'autre de la frontière et bien au-delà, réjouissances au cours desquelles put être organisé l'un de ces tournois où le jeune Louis fut légèrement blessé.

Rien ne dit que Blanche ne revint jamais à Port-Mort, mais contrairement à ses séjours à Vernon, à l'abbaye du Trésor... nous n'en avons nul témoignage. Il est vrai que le modeste Château Neuf fut vite à l'état de ruine et seule la petite église Saint-Martin pouvait lui rappeler une officielle mais simple cérémonie religieuse peu vraisemblablement suivie sur place des interminables banquets et téméraires tournois. Réduite à sa plus simple expression, ayant juste la forme pour honorer les accords signés malgré l'excommunication, la cérémonie - au terme de laquelle l'« otage » Jean serait « libéré » - devait avant tout unir deux royaumes' Deux royaumes qui reprendront bien vite leurs interminables disputes !

Pour terminer, notons que la Sainte-Chapelle garde le souvenir du mariage de Blanche de Castille avec le futur Louis VIII : les tours de Castille et les lys de France ornent l'édifice-reliquaire de la capitale. Ce 23 mai 1200 à Port-Mort, à défaut d'avoir uni durablement la France et l'Angleterre, on aura uni la France et la Castille et ce sans savoir alors que la frêle mariée allait devenir l'une des plus grandes reines de France et mère très influente d'un roi qui deviendra saint...
Patrick Lewille