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Le tombeau de Saint-Ethbin

Jusqu'au début de ce siècle on vénérait Saint-Ethbin à Port-Mort.
Des reliques sont conservées dans la nouvelle église Saint-Pierre construite en 1875. Une chapelle latérale, du côté de l'épître, lui est dédiée, et un vitrail provenant de l'ancienne église Saint-Pierre représente ce saint personnage.
Le procès-verbal de reconnaissance de ces reliques, établi le 25 avril 1837 par Charles-Louis de Salmon du Chatellier, évêque d'Evreux, spécifie qu'elles se composent d'un humérus, d'un fémur et d'une mâchoire inférieure. Le 18 juillet 1876, un nouveau reliquaire en bronze doré remplaça l'ancien. Le procès-verbal de cette translation mentionne les mêmes reliques, mais au lieu de fémur on a écrit tibia.

D'après la légende, le moine Ethbin, martyrisé au VIIlème siècle aurait été inhumé dans un terrain donné par Vandemir, que l'on a voulu situer au hameau de Château-Neuf, dépendant de Port-Mort. Cette charte figure dans « De re Diplomatica » (1681). Mais Mabillon n'a pas identifié Port-Mort. Cependant, en cet endroit, sur la rive droite de la Seine, se trouve en effet un monument dit « Tombeau de Saint-Ethbin ». Primitivement, c'était une sorte de dolmen, pierre fruste horizontale en calcaire portant sur quatre petits supports très bas. Après 1870, ce monument disparut et fut remplacé par une table de pierre taillée reposant sur quatre supports rectangulaires ornés et surmontés de petits chapiteaux. On lit sur cette table « Saint-Ethbin, priez pour nous".

Ce monument fut élevé par l'abbé BOSTEL, curé de Port-Mort (1869-1877), afin de donner plus d'intérêt au pèlerinage qui se tenait en cet endroit le dimanche après l'Ascension et le 20 octobre, au lieu du 19, parce que ce jour là on célébrait Saint-Aquilin dans le diocèse d'Evreux. De nombreux pèlerins y venaient pour guérir leurs rhumatismes, en passant trois fois sous la table...

Tout ceci ne prouve pas que Saint-Ethbin ait été inhumé à Port-Mort

De nombreux ouvrages nous rapportent qu'il est mort en Irlande et que ses reliques ont été déposées au monastère Saint-Saulve à Montreuil-sur-Mer. Par contre, on peut admettre que les reliques conservées à Port-Mort, selon certains documents, reposaient dans l'église Saint-Martin-du-Château-Neuf, avant la Révolution, et que pour les soustraire aux dévastations de cette époque, elles ont été cachées sous le monument primitif.
De nombreux ouvrages ont été écrits sur lui. De leur lecture, il ressort maintes contradictions ou confusions. Nous avons donc tenté d'extraire une logique de ces différents textes.
Tout d'abord, bien que Saint-Ethbin figure dans l'hagiographie bretonne, ceci est le fait d'une confusion entre les deux Bretagne, car il était de l'île de Bretagne (Grande Bretagne) ou d'Irlande. C'était donc ce que l'on appelle un « scott » dans le sens étendu prêté à ce nom.
Selon Jean Tritheim (1462-1516), moine, puis abbé de Spanheim (Allemagne), ensuite de Wurtzburg, qui a laissé divers ouvrages, dont un « De viris illustribus ordinis S. Benedicti », Saint-Ethbin vivait « en l'an du Seigneur 610 ».
Surius, chartreux du XVIe siècle (1522-1578), mort à la Chartreuse de Cologne, mentionne également Saint-Ethbin dans le tome 5 de son « De probatis sanctorum historiis » ; de même Pierre de Natali, vénitien, chanoine, puis évêque d'Equilio ou Jesolo (mort en 1400), dans son « Grand catalogue des Saincts et Sainctes » (édition française 1522-1523). Mais nous n'avons pu encore consulter ces deux derniers ouvrages.
Enfin dans la notice sur Saint-Ethbin que donnent les Bénédictins de Paris, dans « Les vies des Saints », au 19 octobre, nous lisons : « Au Monastère de Necth-Hermitage, en Irlande, Saint-Ethbin, abbé (VIIe siècle) ».

Plusieurs hypothèses sont alors émises par les historiens

Ceux-ci se sont penchés sur la vie monacale de Saint-Ethbin. Pour les uns il était le compagnon de Saint-Guénolé, pour les autres celui de Saint-Samson, au monastère de Taurac. Mais nul n'a pu jusqu'ici trouver l'emplacement de ce monastère... Quel que soit le lieu où vivait Saint-Ethbin, ce ne peut être au monastère de Portus-Mauri qui, certes existait vers 687, mais Saint-Ethbin avait regagné l'Irlande à cette époque, et probablement était-il déjà mort. Le monastère de Port-Mort fut détruit au IXe siècle, lors des invasions normandes.

Nous admettrons pour vraisemblable, la conclusion de Jourdans de la Passardière, Saint-Ethbin fut chassé par les Francs de son monastère, ce fameux Taurac inconnu, et se retira en Irlande, dans la forêt appelée « Silva noctensis » où il mourût.
Nous n'insisterons pas sur la controverse qui s'éleva à propos de la confusion, plus ou moins consciente, faite par un moine de Landévennec, alors réfugié à Montreuil-sur-Mer, qui transcrivit Eduinetus en Ediunetus, c'est-à-dire Ethbin en Idumet. Ce qui appartenait à Saint-Ethbin se trouvait ainsi transféré à Saint-Idumet, saint breton connu dans la Cornouaille et honoré par les moines de Landévennec. Mais dans la transcription de sa « vita », le moine copiste ne s'est pas donné la peine de changer jusqu'au bout le nom d'Ethbin en Idumet. Ethbin et Idumet sont bien deux personnages distincts. Selon l'onomastique Ethbinus et Eduinetus sortent tous deux de Etwin ou Edwin et sont le même nom d'origine anglo-saxonne.
Saint-Ethbin n'était donc pas breton comme l'eussent souhaité les moines de Landévennec. Il était d'ailleurs inconnu en Bretagne et ce n'est qu'au XVlle siècle qu'il fut découvert par Albert Le Grand dans des recueils étrangers et intercalé parmi les saints bretons.
Par contre il était honoré depuis longtemps dans le Nord de la France, notamment dans les Abbayes de Marchiennes, d'Anchin et de Loos-lès-Lille. Ces abbayes avaient probablement reçu ce culte de l'Abbaye Saint-Saulve de Montreuil-sur-Mer.

Aucun des documents consultés, notamment les martyrologues, ne permet d'affirmer que Saint-Ethbin ait été martyrisé. Il est mentionné à la date du 19 octobre, comme abbé, sans autre indication, et l'on situe sa mort en Irlande. C'était ce que l'on appelle communément un saint homme. Pour expliquer la présence des reliques de Saint-Ethbin à Port-Mort, on a supposé que ce sont les moines de Landévennec qui les auraient emportées vers le monastère de Saint-Saulve, où ils allaient se réfugier, et qu'ils donnèrent quelques os en traversant le Vexin. Mais rien ne confirme cette hypothèse, car on ne sait pas à quelle date les reliques de Saint-Ethbin arrivèrent à ce monastère, ni qui les y avait apportées. Nous savons seulement qu'elles y étaient avant 954-955.
Dans tous les inventaires du Trésor de l'Abbaye de Saint-Saulve, la châsse de Saint-Etbin (orthographe employée à Montreuil) y figure depuis 1424, date de son origine. Celui de 1713 en donne une description détaillée. Enfin elle est encore mentionnée dans l'inventaire que les officiers municipaux de Montreuil établirent le 29 avril 1790.
A la Révolution le monastère bénédictin fut démoli et les reliques brûlées dans un autodafé, le 30 septembre 1793. Il semble bien que les reliques de Saint-Ethbin n'échappèrent point à cette destruction, car on ne les a pas retrouvées, ni leur reliquaire, dans ce qui forme désormais le Trésor de l'Église abbatiale Saint-Saulve. Mr. Roger Rodière dans son histoire des reliques de Montreuil, « Les corps Saints de Montreuil », posait le problème des reliques de Port-Mort. Et, dans une lettre que Dom Plaine de l'Abbaye de Ligugé, lui adressait le 7 mars 1899, nous lisons :
« On ne possède en Bretagne aucune relique de ce Saint (Saint-Ethbin), et il n'y est pas honoré, car il ne nous appartient que par la naissance (?), et il est allé mourir en Irlande. On en possédait aussi des reliques à Vernon, ainsi qu'à Port-Mort. J'imagine qu'elles provenaient de votre Saint-Saulve ».

Après l'étude de nombreux documents l'origine des reliques conservées à Port-Mort reste donc à découvrir... Une analyse de la teneur en carbone 14 de ces ossements pourrait évidemment nous donner leur âge, rien de plus. Mais ne doit-on pas laisser aux historiens la part d'imagination qui leur permettra peut-être de découvrir la vérité ?

Louis Blanchet